Van der Weyden
1/2 Un maître du
XVe siècle initié au Secret
Rennes‑Le‑Château ou l'histoire d'un grand
secret
L'énigme des deux
Rennes est aujourd'hui tournée vers deux tableaux codés et fondateurs : "Les Bergers d'Arcadie II"
de Nicolas Poussin et "Les 7 péchés capitaux"
(improprement appelé Tentations de Saint‑Antoine)
de Téniers le Jeune. Leur
implication est largement démontrée aussi bien du point de
vue historique que par leur composition. Or, il existe bien
d'autres oeuvres intrigantes, souvent délaissées, car
difficiles à analyser, ou tout simplement oubliées par les
chercheurs.
Parmi les tableaux remarquables liés de
près ou de loin à l'énigme, certains sont
particulièrement étonnants et prennent de l'importance au
fur et à mesure que les recherches se précisent. C'est le
cas d'une toile, en fait un triptyque pour lequel des indices ont été
insérés de
façon criante et qui mène à
Maurice Leblanc,
alias Arsène Lupin,et à
l'Aiguille creuse. Mais avant d'analyser cette
oeuvre étonnante, il convient de
présenter son auteur : Van der Weyden, un
maître flamand du XVe siècle...
Triptyque de l'Adoration des Mages, appelé aussi
"Retable de Sainte‑Colombe"
par Van der Weyden, vers 1450‑1455 (Alte
Pinakothek, Munich)
Qui était Van der Weyden ?
Rogier de le Pasture, dit Rogier van
der Weyden en flamand, est un peintre du XVe siècle né en
1399 (ou 1400) à Tournai et mort le
à Bruxelles.
Originaire de Tournai, il est formé au sein de
l'atelier du peintre Robert Campin, et s'installe à
Bruxelles en 1435 tout en devenant peintre officiel de la ville.
Il répond à de nombreuses commandes des ducs de
Bourgogne et de leur entourage, et effectue également un voyage en
Italie vers 1450 où il acquiert une certaine renommée. Il
termine sa vie à la tête d'un atelier prospère et il est l'auteur de
nombreuses peintures religieuses. Les historiens de l'art lui attribuent
une quarantaine d'œuvres encore conservées.
Également artisan enlumineur,
Van der Weden appartient au mouvement des primitifs
flamands.
Van der Weyden (1399‑1464)
Peintre officiel de Bruxelles
Il est le fils d’un coutelier et entre très
jeune en apprentissage à Tournai dans l’atelier de
Robert Campin dit le Maître de Flémalle. Vers 1420, il
se marie avec Isabelle Goffaert, fille d'un cordonnier
bruxellois. En 1432, il
obtient le titre de maître dans la guilde des peintres de
Tournai. Comme il était de coutume à l’époque,
plusieurs voyages dans différentes villes lui ont
probablement permis de diversifier ses connaissances et
d’approfondir sa formation. Plusieurs œuvres datant de la période
tournaisienne ont été attribuées à Van der Weyden : elles
sont caractérisées par l’influence de Robert Campin (par
exemple,
Saint Georges et le dragon).
En 1435 Rogier de La Pasture va s’installer à Bruxelles
dans le Brabant, probablement à la demande
du bourgmestre de la ville. Il fait alors traduire
son nom dans sa version flamande « Van der Weyden ». Immédiatement nommé
peintre officiel de la cité, il obtient quelques années plus tard
le titre de bourgeois de Bruxelles. Son activité
artistique est intense : grands tableaux pour la
décoration de l’hôtel de ville, retable de la cathédrale
Sainte Gudule.
La ville de Bruxelles
lui commande de grands tableaux pour la salle principale de
l'hôtel de ville. Réalisées avant 1439, deux
oeuvres illustrent des
épisodes de La Justice de
Trajan. Une seconde série avant 1454
représente deux scènes de La Justice d'Archambaud. Il
s'agit à chaque fois de tableaux destinés à l'édification des
magistrats qui rendent leurs jugements en ces lieux. Ces panneaux de
très grande dimension étaient sans doute des pièces maîtresses de
Van der
Weyden, et ils furent probablement détruits en 1695 lors du
bombardement de Bruxelles par les troupes françaises.
Il peint aussi le retable de
l'autel de la confrérie des peintres à la
collégiale Sainte‑Gudule dédié à saint Luc, patron des
peintres, auquel il semble avoir donné ses traits. Le tableau
est directement inspiré de
La Vierge du chancelier Rolin, que le peintre n'a pu
observer que dans l'atelier de
Jan Van Eyck, signe des liens qui unissaient les deux artistes.
Peintre de la cour de Bourgogne
Dans les années 1440, après
la mort de Jan Van Eyck, le duc de Bourgogne Philippe le Bon
(1396‑1467) devient un commanditaire important de Van der Weyden. Le peintre réalisera son portrait,
mais bien qu’il ne soit pas nommé peintre
officiel du duc comme l’était
Van Eyck, son savoir‑faire s’impose à l’entourage du
prince et les commandes se multiplient. Nicolas Rolin, chancelier du duc,
et Jean Chevrot,
évêque de Tournai et de Toul lui commanderont des tableaux.
"Le Jugement dernier" entre 1445 et
1449 est pour le chancelier aux
Hospices de la ville de
Beaune. "Le Retable des 7 sacrements" est pour
l'évêque de Tournai.
Outre ces
œuvres de très grande dimension, il réalise aussi des
enluminures dans des manuscrits destinés à la bibliothèque
ducale. La réalisation d'un portrait de
Philippe le Bon montre que les différentes répliques d'atelier ont sans doute été
réalisées à partir d'un poncif : le maître dessine une esquisse
du visage et du buste puis laisse à ses compagnons ou apprentis
le soin d'en peindre différentes versions définitives. Ce mode
de fonctionnement fréquent dans les ateliers contemporains
explique les variations dans la qualité de sa production.
Van der Weyden réalise aussi de nombreux portraits de
la Cour, dont celui de la duchesse de Bourgogne et de son fils, le
futur Charles le Téméraire.
Triptyque "La Crucifixion" par Van der
Weyden vers 1443‑1445
(Kunsthistorisches Museum, Vienne)
Volet gauche : Marie‑Madeleine. Panneau central : le Christ
en croix avec
la Vierge Marie (en bleu) et saint Jean (en rouge). Les
donateurs sont représentés
priants au pied de la croix. Volet droit : Sainte Véronique.
Voyage en Italie
Vers 1450, à l'occasion du
Jubilé, Van der Weyden voyage en Italie, très vraisemblablement
à Rome et à
Florence, là où sa renommée l’a précédé. Les
Médicis lui commandent une Lamentation du Christ (mise au
tombeau) conservée à la Galerie des Offices de Florence, mais l’influence italienne
reste mineure. À cette époque, Van der Weyden a déjà eu
l'occasion de travailler pour des commanditaires
italiens tels
Lionel d'Este, mais uniquement par des intermédiaires
installés à
Bruges.
"La lamentation du
Christ" par
Van der Weyden 1450
(galerie des Offices à Florence)
L'artiste devient renommé
En décembre 1460, le peintre
Zanetto Bugatto, portraitiste officiel de la Cour des
Sforza, est envoyé à Bruxelles. Le duc de
Milan le recommande au duc de Bourgogne pour qu'il se
perfectionne auprès de Van der Weyden.
Et durant la première moitié de la décennie, l'atelier du
peintre continue d'assurer d'importantes commandes :
notamment pour des
couvents tel un diptyque pour l'abbaye Saint‑Aubert de
Cambrai, aujourd'hui conservé à la (Philadelphia
Museum of Art), ou pour des particuliers comme le "Diptyque à
la Vierge" ou le
"Portrait de François d'Este". Sa renommée et son aisance
lui permettent aussi de faire des dons à la
chartreuse de Scheut, une "Crucifixion" de grand
format désormais à l'Escurial,
ou encore à la
Chartreuse de Hérinnes‑lez‑Enghien, où son fils Corneille
s'est retiré.
Jusqu’à sa mort,
l’atelier bruxellois de Van der Weyden réalisera des commandes
très importantes de la cour du duc du Bourgogne, ou
d’établissements religieux. Son fils Pierre (1437‑1514)
travaillera à ses côtés à partir de 1455.
Finalement, Van der Weyden meurt à Bruxelles le
e maître sera enterré dans la
cathédrale Sainte‑Gudule à Bruxelles, au pied de l'autel de
la confrérie des peintres et de son propre
retable.
Rogier Van der Weyden est, avec Robert Campin et
Jan Van Eyck, le troisième grand fondateur de la peinture flamande
du XVe siècle et apporte une évolution notable
du courant artistique. Alors que ses deux prédécesseurs
s’intéressaient surtout au monde extérieur dont ils
s’efforçaient de transcrire la réalité, Van der Weyden est
au contraire un peintre de l’intériorité. Il cherche à interpréter le
sentiment religieux dans ses polyptyques et ses tableaux
religieux en accentuant l’intensité dramatique de la scène.
Il se focalise sur la psychologie des personnages dans ses
portraits. Voilà peut‑être la raison pour laquelle Van der Weyden a pu être qualifié de peintre
mystique...
Van der Weyden et
Marie‑Madeleine
La représentation de Marie‑Madeine est un thème favori de
Van der Weyden fondé sur Marie de Béthanie
et identifiée à l’époque par le pape Grégoire Ier
comme la prostituée repentie citée dans l’Évangile selon
saint Luc (7:36–50). En effet, dans la tradition catholique,
Marie‑Madeleine est confondue aussi bien avec
Marie de Béthanie qui oint les pieds de Jésus avec de
l'huile, qu'avec une « pécheresse » anonyme.
Vitrail placé au‑dessus de l'autel
est commandé par Saunière On y voit
Marie‑Madeleine (Marie de Béthanie) qui oint les pieds de Jésus
(vitrail signé Marcel Feur)
Elle deviendra par la suite représentée
en pleurs ou lisant. Les artistes du début de la Renaissance
l’ont souvent peinte avec des yeux contemplatifs, associant
parfois les larmes aux mots.
Des exemples peuvent être observés au
XVIe siècle
dans les œuvres du
Tintoret et du
Titien qui montrent Marie‑Madeleine lisant, les yeux
baissés en direction de son livre, ou levant les yeux en
direction du ciel.
À l’époque de Van der Weyden la gestuelle consistant à détourner ou
à
dissimuler le regard devient l’équivalent pictural du fait
de pleurer. L'iconographie représente souvent
Marie‑Madeleine avec un livre, dans une posture de
réflexion, en larmes, ou détournant les yeux.
Van der Weyden
"Marie‑Madeleine"
(Triptyque de la famille Braque)
Marie‑Madeleine est très
reconnaissable grâce à son baume guérisseur qu'elle protège
de sa main.
Le Triptyque de la famille Braque de
Rogier Van der Weyden se trouve au Louvre. Il est
orné des armoiries des familles Braque et de Brabant et fut
peint pour Catherine de Brabant.
Sur le revers du volet gauche figurent les
armoiries de son défunt époux Jehan Braque de Tournai et une
inscription soulignant la précarité de l'existence, ainsi qu'un
crâne et une croix. Le panneau droit est occupé par une
splendide
Marie‑Madeleine richement vêtue,
et tenant
son flacon de parfum.
Marie‑Madeleine
par Van Der Weyden (1451‑1452)
" Marie‑Madeleine
lisant " (1435‑1438) Il s'agit de l'un des trois fragments
connus d'un important retable peint au milieu du
XVe siècle.
Le fragment représente Marie‑Madeleine à la peau pâle et
aux paupières ovales typiques du portrait idéalisé des
femmes nobles de l'époque. Son pot à onguents est placé au
premier plan et est un de ses attributs traditionnels. Entièrement absorbée par sa
lecture comme un modèle de la vie contemplative, elle se
repente et absoute ses péchés passés. Marie‑Madeleine jeune
est assise dans une piété silencieuse, la tête inclinée et
les yeux se détournant du spectateur. Elle est absorbée dans
la lecture d’un livre sacré, dont la couverture est
recouverte d'un tissu blanc. Quatre signets en tissu de
couleur sont attachés à une barrette d'or accrochée au dos
du livre.
Van der Weyden accorde une attention particulière aux détails, en
particulier aux plis et à la texture de la robe, au cristal
de roche qui compose les perles du chapelet tenu par le
personnage qui se tient debout, et à la luxuriance du
paysage à l'extérieur.
"Marie‑Madeleine lisant"
par Van der Weyden vers 1435‑1438
(National Gallery de Londres)
Or, il faut savoir que ce tableau
possède un détail qui fut dissimulé pour une raison inconnue
et sur lequel nous reviendrons plus loin.
En effet, toute la scène autour de Marie‑Madeleine était
recouverte d'une épaisse couche de peinture marron. Une
restauration et un nettoyage réalisés entre 1955 et
1956
révélèrent la beauté du décor.
Les raisons qui ont motivé la découpe du panneau et l'ajout
d'une couche foncée restent inconnues.
Photographie en noir et blanc des
années 1930 montrant le panneau avant qu'il ne soit nettoyé.
À travers la fenêtre, on distingue un
canal ou une rivière avec un archer au sommet de l’enclos délimitant le jardin et
deux
autres personnages marchant de l'autre. De nombreux objets
autour de Marie‑Madeleine sont détaillés avec soin, en
particulier le sol en bois et les clous, les plis de sa
robe, les costumes des personnages.
Le fragment "Saint
Joseph" appartenant à "Marie‑Madeleine
lisant"
Le personnage derrière Marie‑Madeleine a été identifié sur
un deuxième fragment exposé au Musée Calouste‑Gulbenkian à
Lisbonne.
Il s'agit de saint Joseph, et le troisième fragment
également exposé à Lisbonne représente une femme qui serait
Sainte Catherine d'Alexandrie.
Le retable d'origine mettait en scène une
sacra conversazione.
Détail du fragment "Marie‑Madeleine
lisant"
Le chapelet de Saint Joseph
Surtout il y a ce chapelet de saint Joseph,
tenu comme un fil à plomb, symbole de verticalité, et qui
focalise le regard et retient l'attention.
L'effet de la lumière tombante a été étudié de près et les
perles en cristal qui composent le chapelet ont des reflets
brillants qui attirent l'oeil.
Van der Weyden a conféré à son oeuvre une dignité paisible inhabituelle de
sa part. En effet, il est généralement considéré comme le
plus « émotionnel » des
maîtres flamands.
Une composition de Van der Weyden
qui interpelle
La composition de "La Vierge à l'Enfant" repose sur une base développée dans
l'atelier de Robert Campin.
La scène reprise par Van der Weyden est très classique. La
Vierge tient sur ses genoux l'Enfant Jésus, alors qu'un ange
apporte la couronne de
la Reine des Cieux.
Or, un détail ne manque pas d'interpeller. Alors que la
Vierge tient religieusement dans ses mains la Bible,
l'Enfant Jésus tourne les pages jusqu'à
les chiffonner.
La représentation d'un livre sacré dans ce thème religieux
est très fréquente, mais peindre une Bible malmenée par
l'Enfant Jésus est très provocateur et plutôt hérétique.
Rogier Van der Weyden
"La Vierge à l'Enfant"
dite Madone Duràn,
huile sur bois, vers 1435‑1438,
Madrid, musée du Prado
Détail de "La Vierge à l'Enfant"
et la Bible aux pages froissées
Van der Weyden est réputé pour peindre les émotions, mais il faut avouer
qu'ici la symbolique prend le pas
sur son style.
Un tant que maître de la peinture religieuse soucieux
des détails, il est impossible qu'il n'ait pas vu ici
une interprétation qui peut laisser dans le désarroi
l'observateur chrétien. Voilà que l'Enfant Jésus, l'air
espiègle, froisse
largement le livre sacré en voulant
tourner les pages...
S'agit‑il d'une provocation naïve ? Ou d'un réel message ?
Van der Weyden posséderait‑il une face
cachée ? A‑t‑il été initié au secret des deux Rennes ? Nous
allons voir que le triptyque des Rois mages de Sainte‑Colombe
affiche des anomalies qui trouvent un parfait écho avec Arsène
Lupin et donc avec Maurice Leblanc...