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Vigenère - Rennes-le-Château Archive

Blaise de Vigenère
et son chiffrement

Rennes‑Le‑Château ou l'histoire d'un grand secret

 

 

 

     L'affaire de Rennes‑le‑Château a ceci d'extraordinaire qu'elle nous oblige à étudier certains replis peu connus de notre Histoire. C'est le cas de ce diplomate du XVIe siècle qui sans le savoir prêtera bien plus tard  son énoncé de cryptologie à l'élaboration codée du Grand parchemin prétendument découvert par Bérenger Saunière.

 

   Ce fameux parchemin cache en effet un ingénieux codage mélangeant le cryptage de Vigenère et le saut du cavalier d'un jeu d'échecs.
Mais qu'est‑ce que le
chiffrement de Vigenère et qui était cet érudit ?

 

Qui était Vigenère ?

   Blaise de Vigenère (1523‑1596) naquit à Saint‑Pourçain‑sur‑Sioule, non loin de Clermont‑Ferrand. Il fut dès l'âge de 17 ans un diplomate français du XVIsiècle de la cour d'Henry III de France. À 24 ans, il travailla pour le compte du Duc de Nevers.

 

   C'est à Rome que Blaise de Vigenère, alors âgé de 26 ans, se passionna pour les écrits de Léone Batista Alberti, Jean Trithème et Giovanni Battista della Porta. En raison de son métier de diplomate, il s'intéressa naturellement à la cryptographie, mais uniquement du point de vue de son utilisation.  


Blaise de Vigenère (1523‑1596)

   Puis vers 1560, Vigenère orienta sa carrière vers les études, sa fonction de diplomate l'ayant mis à l'abri du besoin. En 1584, il devint secrétaire de la chambre du roi Henri III de France. Dés 1560, il reprit les travaux d'Alberti, de Trithème et de Porta et énonça un nouveau principe de chiffrement que l'on appelle aussi "Chiffre de Vigenère". En 1586, il présenta le maniement du chiffre carré dans son écrit : "Traité des chiffres, ou secrètes manières d'écrire; Paris 1586 ".


(le texte intégral est accessible sur le site de la Bibliothèque Nationale de France).

 

   L'originalité de son énoncé repose sur un système de substitution à double clé, un principe efficace puisque le codage de Vigenère résista aux décrypteurs jusqu’en 1863.

   Vigenère mourut d’un cancer de la gorge en 1596. Il fut inhumé en l'église Saint‑Étienne‑du‑Mont, dans le Ve arrondissement de Paris.

 

Le Chiffrement de Vigenère

   Le chiffrement de Vigenère est basé sur un système de substitution polyalphabétique. L'idée est à la fois simple et géniale :

 

Substituer une lettre par une autre, mais pas toujours la même
et ceci en utilisant une phrase clé

 

   Le chiffrement de Vigenère est aussi appelé cryptosystème symétrique, car il utilise la même clé pour le chiffrement et le déchiffrement. Ce principe est bien sûr plus solide que le codage simple puisqu'il consiste à remplacer une lettre par une autre avec une variante dépendant de la clé.

 

   Bien que le codage par décalage des lettres d'un texte soit connu depuis très longtemps sous le nom de "chiffrement de Caesar", l'idée d'un codage polyalphabétique n'apparut pour la première fois qu'en 1466 grâce à l'architecte Léone Battista Alberti.


Léone Batista Alberti
Autoportrait, médaille en bronze (1432–1433)


Le disque de chiffrement d'Alberti

 

   En effet, c'est dans son étude publiée en 1468 que Léone Battista Alberti présenta pour la première fois un disque de chiffrement. Son métier d'architecture et l'utilisation de certains outils spécifiques contribuèrent certainement à faciliter ses découvertes.

 

   En 1508, l'abbé Bénédictin Johannes Trithemius (Jean Trithème) partit de l'idée du disque et utilisa un tableau (tabula recta). Il publia son étude en 1518 en proposant également l'idée d'une clé. Ce n'est qu'en 1553 que Giovanni Battista Belaso reprit cette analyse pour mettre en place le principe du chiffrement sur la base d'une clé unique. C'est d'ailleurs ce dernier qui aurait la paternité du chiffrement de Vigenère. Finalement, en 1563, Giovanni Battista della Porta établit le lien entre le disque et le tableau.

 

   En 1586, Blaise de Vigenère publia dans son « Traité des chiffres, ou secrètes manières d'escrire ; Paris 1586 » le principe du "chiffre carré" également appelé «chiffre indéchiffrable» ou «chiffre par excellence». Il fut connu plus tard sous le nom de chiffrement de Vigenère. Ce fut en 1641 que la méthode de Vigenère devint réputée et popularisée grâce à la publication de Bishop Wilkins, le beau frère d'Olivier Cromwell et fondateur de la Royal Society. C'est dans sa publication "The Secret and Swift Messenger" que l'on retrouve le chiffrement de Vigenère, classé dans les méthodes de cryptographie.

 

Le codage de Vigenère plébiscité

 

   Le chiffrement de Vigenère paraît aujourd'hui un peu désuet, mais il faut savoir qu'il a été très utilisé durant une période. Des passages entiers d'œuvres littéraires étaient utilisés pour chiffrer les plus grands secrets politiques ou les complots. Il suffisait pour les deux complices d'avoir en leur possession le même livre qui fournissait les clés...

 

Le chiffre de Vigenère vaincu

 

   Ce fut un célèbre mathématicien anglais du XIXsiècle, Charles Babbage (1792‑1871) qui fit progresser de façon importante la cryptanalyse. Fils d'un prospère banquier londonien, professeur à Cambridge, il devint l'une des plus grandes figures de la préhistoire de l'ordinateur.

 

   Au cours du mois de février 1846, Charles Babbage tenta par défi le décryptage d'un texte.


Charles Babbage (1792‑1871)

 

   Expert en cryptographie de la Royal Navy pour le compte de son ami Rear‑Admiral Sir Francis Beaufort (1774‑1857), il résolut le texte crypté en analysant les fréquences d'apparition des lettres. Le 20 mars 1846 à 1h30 du matin, Babbage décrivit pour la première fois le chiffrement de Vigenère sous formes mathématiques.

 

   Malheureusement, il ne publia pas sa découverte et elle resta longtemps ignorée. Parallèlement, un officier prussien à la retraite, Friedrich Wilhelm Kasiski (1805‑1881), parvint au même résultat et publia en 1863 ses travaux dans son ouvrage "Die Geheimschriftren und die Dechiffrir‑kunst".

 

La table de Vigenère et le cryptage

 

   Le chiffrement de Vigenère nécessite d'utiliser un tableau carré divisé en 676 cases (26 x 26) dans lesquelles les lettres de l’alphabet sont disposées dans l'ordre et avec un décalage circulaire de une lettre à chaque ligne ou à chaque colonne.

 

   Il faut d'ailleurs remarquer que pour le cas du décryptage du grand parchemin, il faut utiliser en fait un carré de 25 x 25, la lettre W ayant été introduite officiellement dans l'alphabet français qu'en 1964.

 

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La table de Vigenère à 26 lettres
que l'on devrait appeler "Le carré de Trithème"

 

Principe du cryptage

 

   Supposons que l'on veuille coder la phrase "BRAVOVIGENERE" et que la clé soit "MACLE"

 

   Il suffit, pour chaque lettre de la clé et pour chaque lettre de la phrase à coder, de noter la lettre indiquée par l'intersection de la ligne et de la colonne de la table de Vigenère

 

   On commence donc par B (1ère lettre de la phrase à coder) et M (1ère lettre de la clé). L'intersection de ces 2 lettres dans le carré de Vigenère donne la lettre N. Ensuite le R (2ème lettre de la phrase à coder) et le A (2ème lettre de la clé) donne R
Et ainsi de suite jusqu'à épuisement des lettres de la phrase à coder...

 

Itérations

Lettres de la
phrase à coder

Lettre de la
clé utilisée

Lettres cryptées

1

B

M

N

2

R

A

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3

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C

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4

V

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5

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I

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9

E

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10

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R

11

E

M

Q

12

R

A

R

13

E

C

G

 

Nous obtenons donc après 13 itérations le texte codé "NRCGSHIIPRQRG"

 

   Dans le cas où le texte à coder est plus long que la clé, celle‑ci est répétée autant de fois que nécessaire. Il faut remarquer également que l'on peut entrer indifféremment la phrase à coder par la ligne ou par la colonne puisque la table de Vigenère est symétrique.

 

La méthode de cryptage peut se résumer ainsi :

 

Texte codé = Texte d'origine + Clé [mod 26]

 

Principe du décryptage

 

   Le décryptage est une opération tout aussi simple. Il suffit de faire la procédure inverse. On prend la lettre correspondant à l'intersection entre la ligne ou la colonne de la première lettre de la clé et de la première lettre du texte codé. Et ainsi de suite jusqu'à épuisement du texte.

 

La méthode de décryptage peut se résumer ainsi :

 

 Texte d'origine = Texte codé + Clé [mod 26] 

 

Le point faible de Vigenère

 

   Lorsque le texte est beaucoup plus long que la clé, il suffit d'analyser la fréquence d'apparition des lettres. Cette fréquence donne des informations sur la longueur de la clé, ce qui permet ensuite de déduire une à une les lettres. C'est ce que découvrit entre autres Charles Babbage (1792‑1871) en 1846.

 

   Pour éviter ce défaut, une solution consiste à utiliser une clef dont la taille est proche de celle du texte à coder. Ceci rend impossible l'analyse statistique. D'autres solutions consistent à utiliser le résultat du codage en tant que seconde clé. La clé initiale est alors complétée par le texte codé, brouillant encore plus la fréquence d'apparition des lettres...

 

   Dans le cas du décodage du Grand parchemin, une étape consiste à utiliser une clé aussi longue que le texte. Ceci prouve que le codeur connaissait le point faible de Vigenère. On peut donc affirmer que la conception des parchemins est postérieure à 1846.

 

Le codeur / décodeur de Vigenère

Base 26 lettres

 

   Il est amusant de mettre en œuvre le codage / décodage de Vigenère. Voici une application du codeur / décodeur basé sur 26 lettres (W compris)  :

  

               

  

 

Base 25 lettres

 

   Le décodage du grand parchemin nécessite l'utilisation du tableau de Vigenère sur 25 lettres (W non compris). Voici son codeur / décodeur  :

  

               

  

Vigenère, un personnage mystérieux

   Lorsque l'on s'intéresse à la biographie de Blaise de Vigenère, on s'aperçoit qu'il fut un homme à différentes facettes. L'homme politique et le scientifique cachent en effet une personnalité complexe et obscure. Il eut incontestablement plusieurs cordes à son arc puisqu'en plus de son activité de diplomate, il fut aussi considéré comme alchimiste, kabbaliste, archéologue, écrivain, historien et traducteur. Son érudition était telle qu'il pratiquait cinq à six langues.

 

   Sa vie était d'ailleurs fort remplie. Alors qu'il était au service des Ducs de Nevers et des rois de France, il voyageait dans toute l'Europe de l'époque et il étudiait l'Histoire.

 

   Sa passion secrète était la traduction de textes anciens de l'Antiquité, du Moyen‑âge, de la Renaissance et de la Bible. Il travailla même sur deux traités, l'un herméneutique "traité des chiffres" et le second alchimique "traité du feu et du sel" que l'on retrouva dans ses papiers après sa mort.

 

   Son objectif utopique était de traduire en français toutes les légendes, les mythes, les fables, les symboles et les textes anciens grecs, latins ou hébreux.

 

   C'était peut‑être pour lui une envie de retrouver ses repères dans cette période trouble et sanglante de l'Histoire de France. D'autres diront qu'il menait une quête, mais pour chercher quoi ?