Le Christ au lièvre
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ou les tableaux de
Rennes‑les‑Bains
Rennes‑Le‑Château ou l'histoire d'un grand
secret
De même que
le célèbre
tableau de Saint‑Antoine
est associé à ND de Marceille,
celui qui fut curieusement appelé "Le Christ au lièvre"
renvoie à
l'église de Rennes‑les‑Bains
et à la mythologie des deux Rennes. Suite à sa révélation
par Gérard de Sède, il fascina pendant
très longtemps les chercheurs pour son côté
énigmatique et son histoire obscure liée à Henri Boudet. La destinée de cette
toile semble
d'ailleurs étrangement liée à une autre peinture moins connue,
et
pourtant très visible dans la même église : "La Crucifixion".
Ces deux
tableaux dont nous mesurons aujourd'hui leur importance sont à
eux seuls une énigme qui s'inscrit parfaitement dans
l'histoire globale de l'affaire, surtout depuis qu'un
procédé d'unification des deux toiles a été découvert. Ce
rapprochement graphique très concret que l'on appelle "le
jumelage des tableaux de Rennes‑les‑Bains" permet aujourd'hui
d'observer ces oeuvres sous un nouvel éclairage.
Une chose est sûre,
ces deux tableaux représentent un indice complet, un
héritage codé que les prêtres du Haut‑Razès ont laissé aux
générations futures; un message à la fois allégorique et
précis qu'il faut dorénavant intégrer...
Je tiens à remercier ici Franck Daffos de m'avoir fait
partager
son idée à propos de l'unification des deux tableaux de
Rennes‑les‑Bains,
un jumelage que j'eus la joie de réaliser par infographie
et qui fut présenté sur le site RLC Archive
dès le lendemain de la découverte.
À l’intérieur de
l’église de Rennes‑les‑Bains, dans la petite chapelle de droite près de
l’autel, un tableau de grande dimension orne le mur. La toile
n'est pas signée et elle représente une Pietà. Image célèbre de
l'énigme de Rennes, elle est connue sous une appellation
étrange :"Le Christ au lièvre".
"Le Christ au lièvre"
(église de Rennes‑les‑Bains)
Selon une légende
rapportée par
Gérard de Sède,
ce tableau aurait été offert par le
marquis Paul François‑Vincent de Fleury,
un descendant de la famille de Blanchefort aux
alentours de 1800. Il faut rappeler que ce fut par
son mariage avec Gabrielle d'Hautpoul
de Blanchefort que
le marquis devint seigneur de Rennes et donc
héritier du titre. Ils eurent un fils Paul Urbain de Fleury
qui eut la particularité étonnante de cumulerdeux tombes à son nom dans le petit cimetière de l'église
de Rennes‑les‑Bains.
C’est une des raisons pour lesquelles depuis très
longtemps, ce tableau intrigua les chercheurs. Son histoire aurait été non seulement liée à la descendance des familles
Blanchefort ‑ Hautpoul, mais aussi à
Henri Boudet,
curé de la paroisse de Rennes‑les‑Bains. Ce dernier aurait
ainsi été le
gardien de la toile pendant plus de
40 ans. La
légende rapporte aussi qu'au lieu d'être ignoré de tous et oublié dans un
patrimoine familial, le tableau aurait fait l'objet d'un don de la part dePaul François‑Vincent de Fleuryqui préféra l'exposer
définitivement dans une église ? L'hypothèse est fort possible.
Il faudra
attendre l'année 2005 pour qu'une autre
piste
beaucoup plus convaincante soit proposée sur l'origine de la
toile. La recherche
avance parfois par des hasards heureux. Voici un exemple...
De nombreux artistes
travaillèrent sur
la scène de la lamentation du Christ. Ce thème
religieux très classique est appelé "Pietà".
Jésus y est représenté mort,
après sa Crucifixion, dans les bras de la Vierge Marie,
entouré de plusieurs personnages, dont Marie‑Madeleine
parfaitement
reconnaissable par ses cheveux flamboyants.
Exemple de "Pietà" par
El Greco
Dans la scène "Le Christ au lièvre",
le Christ mort gît à l’entrée d’une petite grotte. Il est
appuyé contre la
Vierge Marie qui regarde le ciel. Sa main
droite fait un geste dans la direction du Christ en
implorant Dieu. Le
Christ est présenté musclé et
robuste.
Au‑delà de l’ouverture,
sur la gauche, un paysage désolé
s’étend jusqu’à l’horizon. Un gros rocher aux
formes curieuses et ressemblant à un dolmen occupe la majeure partie du paysage.
Il est recouvert de quelques buissons clairsemés.
La scène a longtemps
passionné et intrigué les chercheurs. Pourquoi ?
"Le Christ au lièvre"
Le lièvre et l'araignée
Deux détails rendirent célèbre
le tableau parmi les chercheurs de l'époque. Pour qui sait la voir,juste au‑ dessus du pied droit, une
légère végétation semble prendre la forme d'une
araignée. Et sur le profil du genou droit du
Christ, on peut deviner la tête d'un lièvre.
Ces détails paraissent bien naïfs
aujourd'hui à côté d'autres indices qu'offre le tableau,
mais ils furent suffisants pour attirer l'attention.
L'araignée à gauche et le lièvre
Des genoux qui rappellent une
tête de
lièvre
Ces deux détails feront dire à
Gérard de Sède :
"A Règnes (araignée),
près de l'homme mort,
gît
le lièvre".
En vieil occitan, Rennes se prononce "Règnes" d'où le
rapprochement dans la langue des Oiseaux : "A Règnes" avec "Araignée"...
Une plante au‑dessus du pied
prend la forme d'une araignée
Ainsi, le nom du tableau "Le Christ au
lièvre" provient du genou
droit du Christ qui rappelle la tête d'un
lièvre. Certains auteurs imaginèrent alors que l'un des
secrets du tableau pourrait se cacher dans cette suggestion
qui autorise un autre titre : "Le lièvre au Christ", ou
plus exactement "Le lièvre est le Christ".
L'expression "Lever un lièvre"
prend alors ici un sens particulier qu'il faut traduire par : "Cherchez
le lièvre...
une découverte importante vous y attend..."
Il est vrai qu'il existe un
lieu
situé à 2 km au Sud‑ouest de Rennes‑les‑Bains
appelé "L'Homme Mort".
Une autre Pietà et le Christ au lièvre
(Hainaut ‑ artiste
inconnu)
Enfin, notons que "Le Christ
au lièvre" n'est pas la seule toile semblant
suggérer un lièvre. On retrouve cette allusion sur une
autre toile située dans un petit village du Hainaut. La tête d'un lièvre est visible sur
le genou gauche du Christ.
Le lièvre sur le genou gauche
Une main étrange
Il est incontestable que
ce tableau fascine et deux remarques évidentes peuvent être
signalées :
La musculature est exagérée et se
confond presque avec le drapé.
La position de la main droite du Christ
est curieuse, comme suspendue, reposant sur un accoudoir
invisible.
Le tableau dégage une
atmosphère indéfinissable et l'une des explications est
peut‑être celle‑ci :
Très peu de chercheurs l'ont remarqué,
mais la position de la main droite du Christ est
anormalement surélevée. Son avant‑bras est figé en
plein mouvement comme pour inviter l'observateur à imaginer
que Jésus est encore vivant ou du moins agonisant, ce qui est une représentation parfaitement étrange. De plus, elle
est contraire aux symboles classiques religieux et très
différente de ce que l'on peut voir sur d'autres Pietà. Cette main qui
semble reposer sur l'accoudoir invisible d'un fauteuil apporte un
semblant de vie, là où la mort est en principe omniprésente.
Voici donc une bien étrange
composition du peintre : le corps sans vie du Christ est avachi
dans un fauteuil rocheux, sauf la main droite qui semble faire un signe.
Simple erreur de l'artiste ? Ou bien a‑t‑il voulu laisser un
message ?
Nous verrons plus loin l'explication
technique de cet étrange détail...
Le coup de lance inversé
Un autre détail surprenant pour son caractère
contradictoire avec la tradition chrétienne, est la blessure
du fameux coup de
lance, visible sur le flanc gauche du Christ et non sur le droit
comme le veut la représentation iconographique.
Henri Boudet,
homme d'Église
exemplaire, doté d'une intelligence hors du commun, ne
pouvait ignorer cette erreur élémentaire.
Pourtant, on peut relever cette même anomalie sur le calvaire qu’il
fit ériger à la sortie de Rennes‑les‑Bains,
sur la route de Bugarach... Au pied du
calvaire on peut lire une inscription gravée :
MISSION
1885
Notons que
1885 et 1886 sont deux dates mythiques pour
Boudet. On retrouve d'ailleurs 1886 sur la couverture
de son livre culte :
La Vraie Langue Celtique
Le calvaire de Boudet
à
Rennes‑les‑Bains La blessure sur le flanc du Christ
est inversée
À
propos du coup de lance gauche ou droit ?
La tradition chrétienne veut
que le soldat romain qui perça le flanc du Christ sur la
Croix à l’aide de sa lance se nomme Longinus (en
français Longin). Très vite sacralisée, la lance devint
une relique légendaire, lui associant une symbolique
divine. Les récits veulent que cette lance ne
cesse de saigner à sa pointe, son détenteur étant le
même que celui du Graal dans les légendes arthuriennes.
Enluminure de l’Évangéliaire
syriaque
de Rabula en l'an 586
"Le
coup de lance"
par Rubens
Or, toujours selon la
tradition, et affirmé par la quasi‑totalité des
crucifix depuis l’apparition de sa représentation, la blessure
du Christ est affichée sur le
côté droit. Un exemple est donné par une enluminure syriaque de Rabula datée de l'an 586.
Elle
montre clairement le centurion romain perçant le
flanc droit, alors qu'un autre recueille le sang
christique donnant naissance à la légende du Graal.
Autre élément à prendre en compte, seul l'Évangile de Jean nous rapporte le coup de lance :
« l’un des soldats, de sa lance lui perça le côté et aussitôt il
sortit du sang et de l’eau ». (In. 19.34). Puis il ajoute :
« celui qui a vu en rend témoignage, – un authentique
témoignage, et celui‑là sait qu’il dit vrai – pour que vous
aussi vous croyiez ». (In.19.35)
Le coup de lance côté droit ne serait donc qu'une interprétation
symbolique que Rubens a respectée, mais que visiblement
Boudet a reconsidérée sur son calvaire.
Existe‑t‑il un original au "Christ au lièvre" ?
Il est en effet très possible que
l'artiste se soit inspiré d'une toile déjà
existante.
Or, une peinture
qui pourrait rappeler
effectivement la scène du "Christ au lièvre"
existe : "Lamentation sur le Christ mort" de
Van Dyck. On y trouve
Jésus dans une position similaire près d'une grotte.
La Vierge Marie et
Marie‑Madeleine sont à ses
côtés. La scène est par contre inversée.
"Lamentation sur le Christ mort" de
Van Dyck Anthony
réalisé entre 1634 et 1640 (Arts muséum de Bilbao)
"La lamentation"
de Anthony Van Dyck
La piste Van Dick serait‑elle la bonne ? Oui si
l'on en juge par une autre toile du
même artiste qui est encore plus saisissante :
"La lamentation".
Ce tableau peint en 1629 et donc plus
ancien était présent dans l’église
de
Saint Béguines à
Anvers.
Il se trouve aujourd'hui au musée
des Beaux‑arts
d'Anvers.
"La lamentation" de
Van Dyck Anthony (1629)
La
ressemblance avec la version de Rennes‑les‑Bains est
plus que troublante. On retiendra bien sûr l'inversion de la scène,
mais aussi la disparition sur "Le Christ au lièvre"
de
Marie‑Madeleine et du troisième personnage
à droite
apportant la tunique rouge. Notons aussi que le coup de
lance est sur le côté droit, fidèle à la tradition
chrétienne.
La Pietà de Sarzeau
Les chercheurs
ont depuis longtemps voulu déterminer une version
originale. Celle visible dans l'église de Sarzeau
au sud de la Bretagne ne
manque pas d'intérêt. On y voit une scène qui ressemble
particulièrement au "Christ au lièvre" excepté les deux
personnages d'origine, dont Marie‑Madeleine.
Or, non seulement la petite commune de
Sarzeau est citée
par Henri Boudet dans son livre "La Vraie Langue Celtique", mais ce lieu
fut cher à Maurice Leblanc, auteur célèbre des aventures
d'Arsène Lupin. Cela fait décidément
beaucoup de coïncidence...
Tous les auteurs qui
se sont occupés des industries celtiques nous
apprennent que les tamis de crin sont d'invention
gauloise ; mais ils ne disent pas où était le lieu
d'invention et de fabrication.
Sarzeau, dans la
presqu'île de rhuis nous instruit amplement à ce
sujet, sarce (sarse), tamis, tissu de
crin, tosew (sô), attacher,
coudre.
Extrait "La Vraie Langue Celtique" par Henri
Boudet
"La lamentation"
de Paulus Pontius
C'est en recherchant les
œuvres dérivés de Van Dyck
que finalement une gravure est apparue la plus proche
du "Christ au Lièvre". Cette œuvre
qui fut repérée
par Ryan Martin est tout aussi surprenante. Il
s'agit d'une gravure réalisée par Paulus Pontius
entre 1630 et
1650 sur la base du tableau de
Van
Dyck "La lamentation"
réalisé en 1629.
Les détails sont saisissants et on
retrouve les mêmes traits dans "Le Christ au lièvre".
Tout y est, de la musculature exagérée au lièvre sur le genou
droit, en passant par le visage contemplatif de la Vierge Marie et même les
fougères sur le bord de la grotte. La gravure de
Paulus Pontiusaurait donc
très probablement inspiré un copiste
qui utilisera la base du dessin pour composer sa "Pietà" de
Rennes‑les‑Bains. Son objectif : glisser dans la
scène religieuse quelques
éléments supplémentaires propres à l'énigme...
"La lamentation" de Paulus Pontius (1603
‑ 1658) Gravure conservée au Royal Academy des Arts à Londres
Notons que la présence du genou au lièvre dans
la gravure amène à supposer que ce détail ne fait pas partie du
message codé de Rennes‑les‑Bains. Néanmoins, nous verrons plus
loin que nombreux sont les indices qui, à contrario, prouvent la
présence d'un message codé.
La gravure inverse l'original
Un détail intéressant est l'inversion
complète du Titulus Crucix INRI
sur la gravure et que l'on peut facilement observer par la
présence d'un
N
inversé. En réalité toute
la scène est inversée et ceci est normal puisque c'est le
résultat de l'impression finale. Le procédé de gravure
consiste en effet à reproduire l'image de départ (ici le tableau
de Van Dyck) sur une plaque de cuivre (gravure de
reproduction), ce qui implique tout naturellement que les
tirages papier seront inversés. Ce type de réalisation inverse l'image comme dans un miroir, et
c'est ce que l'on observe sur la gravure de Paulus Pontius,
résultat d'un tirage.
Autre remarque qui est une
conséquence : la blessure de la lance qui était sur le flanc
droit chez Van Dyck est maintenant sur le flanc gauche dans la gravure.
Preuve par l'image,
inversons
la gravure et tout rentre dans l'ordre. Nous obtenons ainsi
une version très proche du tableau de Van Dick.
Le coup de lance est sur le flanc droit.
"La lamentation" de Paulus
Pontius (Image inversée)
Deux personnages ont
disparu... Pourquoi ?
Une remarque importante est celle‑ci : en comparant rapidement avec "Le Christ au lièvre",
deux personnages ont disparu : Marie‑Madeleine
et l'homme à la tunique rouge. Pourquoi ?
La question mérite
d'être posée, car réaliser une copie fidèle d'un tableau de
maître pour finalement effacer
Marie‑Madeleine qui
estl'un des personnages clés de la scène
religieuse ne présente aucun intérêt, ni artistique ni
symbolique.
Plusieurs explications peuvent être envisagées :
Le copiste a voulu simplifier
sa composition et donner l'accent sur le sujet principal,
le Christ. Ce choix est tout de même curieux sur une
œuvre religieuse où tous les symboles comptent. Supprimer Marie‑Madeleine dans cette scène religieuse
est un acte symbolique important qui ne se justifie en rien. Du plus,
cela
donne au Christ une
attitude insolite qui
déséquilibre l'œuvre.
Le copiste a voulu attirer
l'attention sur Marie‑Madeleine en l'effaçant du
tableau. L'artiste a parié sur le fait qu'un observateur un
jour fera le parallèle entre sa copie et la version
originale de Van Dyck. Ainsi, l'observateur se posera les bonnes
questions. Si cette option est la bonne, on peut
affirmer qu'il aura fallu au moins 150 ans pour qu'elle
se réalise enfin...
En effaçant deux personnages, l'artiste a tenu à libérer la
scène pour permettre la composition d'un autre paysage. Dans
ce cas, les éléments ajoutés ont une importance certaine et
il convient de les analyser en détail. Nous sommes
clairement dans une volonté de codage.
La suppression de Marie‑Madeleine fournit en tout cas une
piste sérieuse sur le type de codage. En effet, comment imaginer que suite à l'occultation de Marie‑Madeleine,
l'artiste laisse une
main suspendue qui ne se justifie en rien ? Car voici l'explication technique de
cette main étrange : c'est en supprimant la scène du baisemain de Marie‑Madeleine
que la position du Christ devient énigmatique.
Erreur ou volonté délibérée de l'artiste ? Une chose est
sûre, cette anomalie ne peut passer inaperçu
pour un artiste peintre même copiste. Il y a donc fort à parier
que cette main qui ne repose sur rien a été laissée
pour attirer l'attention et signifier autre chose.
En résumé, "Le Christ au lièvre" est un
tableau rébus basé sur une scène religieuse qui sert de
support. Le copiste a clairement détourné
l'oeuvre du maître pour attirer
l'attention et recomposer un paysage. Comme nous le verrons,
la roche particulière apparentée à une pierre dolmen et
visible à l'extérieur prend alors un sens tout particulier.
Quel
est l'artiste qui se cache derrière "Le Christ au lièvre" ?
Un heureux concours de
circonstances
C'est en 2005 que
Franck Daffos, dans son livre "Le secret
dérobé", nous dévoilait quelques éléments importants dans
la compréhension des origines du "Christ au lièvre".
Il faut reconnaître que jusque là, l'hypothèse officielle
était celle d'un don fait par le marquis Paul François‑Vincent de Fleury, et ceci malgré l'absence de
faits sérieux permettant de confirmer ce don.
Pour comprendre ce retournement
spectaculaire, il faut remonter dans les années
1980 où un épisode imprévu viendra,
20 ans
plus tard, renforcer les travaux de recherches autour
de Notre Dame de Marceille.
Entre les années
1982 et 1984, suite à
la demande de l'évêché de Carcassonne, un certain abbé
Bruno de Monts prit en charge la cure de l'église de Rennes‑les‑Bains, ceci
durant
plusieurs étés. Notons que l'abbé Bruno de Monts descend indirectement de la famille
des Hautpoul, ce qui explique peut‑être son
intérêt pour l'affaire.
L'abbé avait l'habitude de prendre ses repas chez Mme
Barthès, nièce de Mgr Boyer (ancien vicaire du
diocèse de Carcassonne
dans les années 1960). Or nous
devons à cette dame une
anecdote très intéressante concernant ce tableau. Alors
que
l’abbé de Monts avait en charge la cure de la
petite station thermale, l’attache qui maintenait la Pietà au mur de l’église se rompit, brisant
ainsi le cadre dans la chute. Et sur
un des morceaux qu’il ramassa, Bruno de Monts
découvrit une inscription jusque là invisible
puisque contre le mur :
"Don de Notre Dame de Marceille"
Inquiété par
l’ébullition médiatique
que pourrait générer cette découverte surprenante, l'abbé fit promettre aux personnes présentes de ne pas
révéler cette trouvaille, sans doute pour ne pas affecter
Notre Dame de Marceille de la même effervescence qu'il
déplorait tant à Rennes‑le‑Château. Il faut
noter qu'il existe un enregistrement magnétique
incontestable
de l'abbé Bruno de Monts
s’expliquant à ce sujet...
Sa consigne
fut donc de présenter "La Pietà" comme
l'œuvre d'un copiste de Limoux du 19e siècle
sans prononcer le nom de ND de Marceille... Le tableau fut remis en place sans
son cadre et ni vu ni connu. C'est ainsi que personne
ne put se douter qu'une information importante
venait d'être trouvée. "La Pietà"
continua ainsi à conserver l'un de ses secrets et le
cadre en morceaux ne fut jamais retrouvé.
Pendant les
deux décennies qui suivirent, personne ne remarqua
que "La Pietà"
était sans son cadre. Pourtant l'absence est
facilement vérifiable si l’on prend la peine de
comparer l'état actuel du tableau avec d’anciennes
photos que l'on peut retrouver dans la
première édition de
"L'or de Rennes" de
Gérard de Sède (Juillard 1967), ou dans
« Le trésor de
Rennes‑Le‑Château »
(Bélisane 1985) et dont la photo fut prise fin des
années
1970.
Or, si on regarde aujourd'hui au dos de la toile,
une autre inscription apparaît :
Peint en 1825 par J.B.B Rouch professeur de dessin
à Limoux
On comprend alors pourquoi l'abbé de Monts
préféra se limiter à la version d'un
copiste de Limoux... En ramassant le tableau, l'abbé
prit en effet connaissance du nom de l'artiste limouxin. Vérité à moitié dite, faute à
moitié pardonnée...
J.B.B Rouch en 1828
L'inscription de J.B.B Rouch visible aujourd'hui
au dos
de la toile de "La Pietà" à Rennes‑les‑Bains
Dès lors,
on pourrait s'arrêter ici en affirmant que l'auteur unique
du "Christ au lièvre" est J.B.B Rouch.
Mais alors, comment ce tableau peint par un professeur
de Limoux se serait‑il retrouvé à
ND de Marceille, puis
par un don, dans l'église de Rennes‑les‑Bains, au coeur de
l'énigme ?
Le second tableau "la Crucifixion"
Passons maintenant
au second tableau dans l'église de Rennes‑les‑Bains. Il
existe effet dans la paroisse de Boudet une autre
toile de grande dimension, moins connue et représentant
uneCrucifixion
dans un style
Caravage.
Depuis de nombreuses
années, le tableau que
l'on
surnomme pompeusement
"Le Christ au lièvre"
attira toutes les attentions.
C'était sans compter sur l'intuition et
le travail d'un chercheur, Franck Daffos, qui eut l'idée de
s'intéresser à son histoire.
Car une inscription présente au dos de la toile
va apporter un nouvel élément décisif.
"La Crucifixion"
dans l'église
de Rennes‑les‑Bains
Et c'est l'abbé Bruno de Monts
qui ouvrit la piste en 1980 en publiant aux presses de
l'imprimerie Sival une plaquette. Intitulée "Rennes‑le‑Château et Rennes‑les‑Bains"
et sortie en très peu d'exemplaire, on peut lire en page
7 une précision concernant la station thermale :
Quant à l'intérieur de l'église, au cours des
siècles, notamment ces dernières années, il a
subi beaucoup de modifications. il y a deux
tableaux, l'un représentant le Christ en Croix,
dont la date nous est connue par une inscription
au dos du tableau : "fait par Mr GASC,
aumônier de Notre Dame de Marceille de Limoux,
en faveur de Mr VIE, son ami et Curé de cette
paroisse, 1842".
extrait "Rennes‑le‑Château et
Rennes‑les‑Bains"
par l'abbé Bruno de Monts 1980
Il a suffi
de retourner le tableau "la Crucifixion" pour
confirmer l'information. La preuve est établie,
Henri Gasc était aussi artiste peintre.
L'inscription au dos du tableau "La
Crucifixion" confirmant sa date 1842
fait par Mr GASC
Aumônier de notre dame
De Marceille de Limoux
En faveur de m. Vié. son
ami, et curé de cette
paroisse 1842 .
Nous voici donc en présence de
deux
tableaux dans l'église de Rennes‑les‑Bains provenant de
Notre Dame de Marceille,
et dont l'un est signé du chapelain du lieu :Henri Gasc.
Décidément, le sanctuaire
limouxin semble à l'origine d'une production artistique qui
pose question.
On est donc en droit de se demander si
« le Christ au lièvre » a livré tous
ses secrets quant au véritable auteur. Si Henri Gasc peint, et nous
avons maintenant la preuve avec sa signature, se pourrait‑il
que "le Christ au lièvre" signé
par J.B.B Rouch ait subi quelques modifications de la main
du chanoine artiste Gasc ? Tout porte à le croire,
et il suffit
de comparer la technique des deux toiles...
La Pietà
signée par J.B.B. Rouch en 1825
"La Crucifixion"
signée par Henri Gasc en 1842
Un coloris révélateur
Un autre élément de
comparaison est d'étudier l'assortiment de
couleurs qui a été choisi pour les vêtements de la Vierge Marie
sur "La Pietà"
avec celui du
chemin de croix de ND de Marceille... la
conclusion est tentante. Nous sommes en présence d'une très
belle coïncidence qui confirmerait la patte d'un même
artiste...
Il est vrai que
Gasc, durant son poste d'aumônier à ND de Marceille entre1838 et 1872
écrivit un opuscule : "Notice sur le pèlerinage de
NDM près de Limoux". Ce journal décrit les différentes
restaurations entreprises par lui‑même sur
le
chemin de croix et on
peut y lire cette phrase étonnante :
"Les tableaux en relief du chemin de croix
ont reçu un coloris qui en relève l'effet et
l'harmonise avec le reste de l'église."
Extrait de
"Notice sur le pèlerinage
de NDM près de Limoux"
page 26 par Henri Gasc
On ne peut être plus clair...
"Le Christ au lièvre" (La Vierge Marie est en rose et bleu)
La station XII à ND de Marceille
(La Vierge Marie est en rose et bleu)
Que peut‑on en déduire ?
Le copiste
J.J.B. Rouch qui réalisa "La Pietà"
en 1825 s'inspira très certainement de la gravure de
Paulus Pontius.
La scène était‑elle fidèle à l'original ? Difficile de
l'affirmer, mais un fait est certain : le tableau a subi un
ensemble de transformations dont la plus évidente est la
suppression de deux personnages. Le don de ce tableau depuis
ND de Marceille montre en tout cas l'implication des
lazaristes du sanctuaire limouxin. Henry Gasc étant peintre
et chanoine à ND de Marceille. Il est donc fort probable
qu'il soit à l'origine des codages du "Christ au lièvre"
associant l'oeuvre au second tableau "la Crucifixion".
Existe‑t‑il un original à "la Crucifixion" ?
La réponse est oui, et son emplacement prouve
que la piste Gasc est sérieuse. En effet, il suffit de se rendre
à
l'église de Pieusse prés de ND de Marceille
pour admirer la version originale datée du XVIIe siècle et classée aux Monuments
historiques.
"La Crucifixion" dans l'église de Pieusse (Version originale utilisée par Gasc)
Et si l'on
approche de la toile, une fine dédicace en latin, de la main même de
Gasc, est
encore
visible dans un cartouche, au bas du tableau.
On peut lire ceci :
ex dono Gasc Sis carissimo Catuffe rectori de pieusse anno... 1866
et qui se traduit par :
don de Gasc à son très cher Catuffe, curé de Pieusse année ... 1866
L'inscription de Henri Gasc sur
"La
Crucifixion" de Pieusse
Que fit le chanoine Catuffe, alors
très proche de l’Évêché, pour être ainsi remercié par
Gasc en
1866 ?
Pour comprendre, il faut se rappeler que
Boudet fut nommé curé à
Festes‑Saint‑André cette même année. Coïncidence ?
Non, car certainement l'abbé
Catuffe fit nommer Boudet
à cette cure sur la recommandation de
Gasc. L'objectif de ce dernier
était de propulser discrètement son jeune élève Boudet
à Rennes‑les‑Bains pour reprendre sur cette paroisse les
recherches abandonnées par Jean Vié. Mais un jeune prêtre
fraîchement émoulu du vicariat ne pouvait prétendre si tôt à
une cure de cette importance : il fallait donc qu’auparavant
il fasse ses preuves ailleurs et autant que ce soit
prés de Limoux et donc d'Henri Gasc !
Festes‑Saint‑André ne fut
pour Boudet qu’un
passage obligé. En remerciement de son intervention,
Gasc offrit très probablement ce superbe tableau à
son ami
Catuffe, éloignant ainsi de plus très adroitement
l’original de sa copie et surtout de Notre Dame de
Marceille.
Chronologie des tableaux
L'histoire des deux tableaux de
Rennes‑les‑Bains est complexe, car elle se déroula sans
doute sur près de 60 ans
avant que les toiles ne finissent par décorer les murs
de la petite église de Rennes‑les‑Bains.
Voici donc comment la chronologie peut être reconstituée,
elle même basée sur des évènements et des dates tels
qu'ils nous sont parvenus aujourd'hui :
1825‑
J.B.B Rouch,
professeur de dessin à Limoux, peint une
première esquisse du "Christ au lièvre",
une copie de la gravure de Paulus Pontius. La scène était
sans doute complète et la copie fidèle.
1842‑
Henri Gasc, aumônier à ND de
Marceille de 1838 à
1872 et qui a réalisé une copie
de la crucifixion de Pieusse
en 1842,fait don de cette copie au curé de
Rennes‑les‑Bains, l'abbé Jean Vié.Son plan est simple :
en offrant ce tableau
remanié,
Gasc
souhaite éveiller la curiosité de l'abbé
au sujet d’un extraordinaire secret.
Malheureusement,
l’abbé Vié ne semble pas être le candidat
idéal. Après quelques années infructueuses, il arrête ses recherches en
1856
comme il l'indique de façon étonnante sur le
Calvaire Petrus qu'il
fait placer sous le porche de son église la même année. Sans
nul doute, Jean Vié excellait plus dans la maîtrise
du latin que dans l’arpentage en tous sens des chemins
cachés de sa paroisse…
1856 à 1862‑ Durant cette période, Gasc
élabore une autre toile,
certainement à cause de l'échec avec
Jean Vié,
mais sans doute aussi pour
tenter de pérenniser son message. Il peint ainsi "La Pietà"à partir de l'esquisse
réalisée et laissée par J.B.B Rouch
en 1825. Son travail a consisté à effacer
deux personnages et à intégrer plusieurs indices.
1862‑Gaudérique Mèche
présente à
Henri Gasc un jeune abbé répondant au nom d'Henri Boudet. Cette présentation se fit
certainement
lors du couronnement de
la Vierge Noire
de ND de Marceille en septembre
1862. Gasc voit en lui son successeur.
1866‑Boudet
est nommé curé à
Festes‑Saint‑André sur intervention du Chanoine
Catuffe
et
à la demande de son ami Gasc. Pour le remercier,
Gasc lui fait don du tableau original « La
Crucifixion », une œuvre de maître
datant du début du XVIIe siècle que l’on peut
attribuer à l’école du Caravage. Une autre raison est
que Gasc évite ainsi que l'on relie trop rapidement
sa copie maintenant à Rennes‑les‑Bains au Sanctuaire de
Notre Dame de Marceille.
1872 ‑Décès de
Jean Vié. Boudet
est immédiatement nommé curé à Rennes‑les‑Bains.
Simultanément, Gasc quitte ND de Marceille.
1879
‑Le compte rendu d’une visite
sacerdotale à Rennes‑les‑Bains de Mgr Leuillieux
évêque de Carcassonne nous prouve de façon certaine
par l’inventaire qui l’accompagne que "La Pietà"
n’est toujours pas arrivée dans l’église à cette date.
C’est la même chose lors des visites de son successeur
Mgr Billard en 1883 et les années suivantes. Pourtant,
elle apparaît sans aucune erreur possible dans les
inventaires contradictoires de 1905
dressés par Boudet et un commissaire de la
République comme l’exigeaient alors les lois de séparation
de l’Église et de l’État. C’est donc qu’elle est arrivée
entre‑temps.
1882 ‑ Décès d'Henri Gasc. Une date
peut alors être envisagée pour la venue de
"La Pietà" à Rennes‑les‑Bains.
Le
tableau était peut‑être resté toutes ces années à ND de
Marceille et le curé de Rennes‑les‑Bains qui en
connaît la valeur même s'il ne lui a jamais été
d’aucune utilité, en hommage à son maître spirituel, le récupère à l’époque dramatique des lois de séparation
de l’Église et de l’État et plus précisément en 1903,
au moment même où les lazaristes, successeurs de Gasc
au sanctuaire de Marceille, se virent chassés des lieux. Une
autre hypothèse est que
Jean Jourde, alors lazariste à ND de Marceille,
intervint pour effectuer le don.
1914 ‑
Boudet, malade, démissionne de
Rennes‑les‑Bains. Les
deux tableaux "La Pietà"
et "La Crucifixion" sont enfin en place dans
l'église de Rennes‑les‑Bains et au même endroit
qu'aujourd'hui.Boudet peut
ainsi prendre sa retraite à Axat, léguant derrière lui un message pictural complet aux
générations futures... Gérard de Sède fera le reste.
Une première conclusion est que
Gasc puis
Boudet
oeuvrèrent énormément pour la préservation et
le maintien de ces deux toiles dans l'église de
Rennes‑les‑Bains. C'est pour nous
aussi une indication sur l'importance
allégorique du message contenu dans ces peintures. La page suivante présente deux
exemples très démonstratifs sur les méthodes
utilisées par Henri Gasc
pour passer un message. Ouvrez bien
les yeux...